Si l’Hyperréalisme a fait l’objet de nombreuses publications à l’époque de son explosion à la fin des années 60 et au début des années 70, il est par la suite devenu pratiquement impossible de trouver un article, une revue ou un ouvrage traitant le sujet selon une approche globale.
Comme s’il s’était agi d’un mouvement spasmodique de mode aussi vite oublié qu’il était apparu. Or la plupart des peintres initiateurs de ce mouvement ont continué, enrichi et souvent diversifié leur œuvre, relayés par une puis deux générations de nouveaux artistes.
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L'hyperréalisme a repris l'histoire de la peinture là ou elle s'est en quelque sorte arrêtée quand la photo est apparue, poussant la peinture à se justifier au travers d'une fuite en avant, d'avant gardes en avant gardes jusqu'à l'épuisement et la reproduction mécanique de celles ci.
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Il a fallu tout reprendre à zéro et ce n'est pas le moindre qualité des précurseurs américains de l'hyperréalisme, les photoréalistes, à qui l'on doit ce retour du travail d'atelier et de la perfection plastique; nous étions en 1965 et 50 ans sont passés.
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Il apparaissait donc indispensable de faire un bilan de ce qui apparaît comme un mouvement majeur tant sur le plan de son histoire que de son actualité.
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Les rapports de l’homme avec la réalité ne sont jamais figés. Ils échappent constamment à quelque emprise que ce soit car si l’homme fait la réalité, la réalité fait à son tour l’homme. C’est un rapport de force permanent ou il n’y a ni gagnant ni perdant. Mais au-delà du champ de bataille, c’est une symbiose qui s’opère. L’histoire n’en retient que quelques moments de rupture.
Si l’on se place dans le cadre de l’évolution de la création artistique, l’hyperréalisme représente un de ses moments de rupture, car il consacre ce qui hier était suspect voire sans intérêt. Rupture également parce que le travail artistique avait depuis quelques années tourné le dos à la peinture et depuis bien longtemps à la figuration qui renvoie à la réalité.
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Tout au long de la période pendant laquelle l’art abstrait a dominé, le réalisme a recherché une nouvelle identité tant en Europe qu’aux Etats-Unis. En se cramponnant à des traditions de style périmées et en refusant de rompre les liens avec l’iconographie qui y était rattachée, le réalisme avait pour la plus grande part dégénéré en une figuration purement stylistique, qui avait perdu tout contact avec la réalité et se trouvait dans l’impossibilité de se développer et d’incarner le réalisme des temps modernes.
L’hyperréalisme n’est pas un mouvement au sens formel. Il n’a pas de manifeste.
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Peut-être y a t’il lieu de parler d’une sensibilité commune : une position qui s’établit à partir des relations existant entre l’artiste et son sujet. Ces relations se caractérisent par la distance à la fois affective et, par l’usage de la photographie, réelle, mais également par un engagement total et laborieux de l’artiste soucieux de rendre avec exactitude la forme, la lumière et la couleur.
L’hyperréalisme est une tendance relativement unifiée ou chaque peintre traduit quasiment de la même manière le paysage contemporain et plus particulièrement les images d’une société moderne. Ce n’est pas le style qui les différencie mais le thème privilégié par chacun d’eux et la manière dont le sujet est vu.
Rejetant la subjectivité affective propre à la peinture réaliste traditionnelle et académique, le peintre hyperréaliste ne dit pas au spectateur comment il doit ressentir le sujet, il affirme tout simplement qu’il existe et qu’il vaut la peine d’être regardé parce qu’il existe. Les efforts de l’artiste (souvent plusieurs mois de travail sur une même peinture) imprègnent les choses d’une signification nouvelle, mais elles ne sont ni surestimées ni sous estimées.
On a pu qualifier de « virtuoses » les hyperréalistes parce qu’ils parvenaient à une perfection telle que l’on en arrivait à confondre leurs toiles avec des photographies. Certains argumentent qu’ainsi ces peintres ne présenteraient qu’un simple constat froid de leur environnement, sans analyse subjective.
Au-delà de cette absence de commentaires directs, il paraît réducteur de ne considérer l’hyperréalisme que comme une représentation mécanique.
Cette apparente impersonnalité est en effet démentie par le fait que, ces peintres prenant eux-mêmes les photos à partir desquelles ils travaillent, une considérable latitude leur est laissée en termes de sujet, de disposition, d’éclairage, de composition et de couleurs. Et ceci est d'autant plus vrai que l'utilisation des outils numériques a récemment ouvert le champ des possibilités.
Enfin, le fait de peindre laborieusement, ceci pendant des mois, ce que l’appareil photo peut instantanément reproduire sans effort n’est pas dénué de sens: le tableau n’est pas une photo et lors de ce lent processus d’effort humain, il acquiert sa propre personnalité pour délivrer une vision intensifiée et densifiée de ce qu’il représente.
En retour le tableau restitue lentement cette charge de travail et de recherche dont il a été imprégné.
Il se dégage d’autre part, au travers du caractère illusionniste de ces représentations minutieuses des moindres détails d’un reflet dans une vitre ou de chaque cheveu d’une coiffure, une folie fascinante et effrayante. Aussi, bien qu’il soit considéré comme froid et dépourvu de tout engagement, l’hyperréalisme présente un caractère héroïque : en choisissant délibérément de faire lentement ce que certains media peuvent réaliser instantanément et sans effort, il affirme la valeur de l’effort humain.
On peut trouver dans cette vieille idée romantique de l’épuisement des accents de performance.
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Le retour de la technique
Les artistes contemporains n’ont jamais tant abusé du mot « travail » que depuis qu’ils ne font rien et n’ont jamais tant aligné la liste de leurs « travaux » que depuis que ceux-ci se sont réduits à des gestes le plus souvent passablement dérisoires et vains, comme d’envoyer des textes par la poste ou de coller des bandes verticales sur des murs. Alors en ce retournement nécessaire qui s’opère aujourd’hui, voit-on, comme réagissant contre cet oubli du corps dans lequel l’art s’est enfoncé, l’œuvre s’étant à ce point dématérialisée qu’elle exclut toute maîtrise ou tout simplement tout savoir-faire, l’artiste revenir derechef vers le corps et le geste. Ainsi pour appliquer son pouvoir l’artiste hyperréaliste a t-il besoin de ces prolongements artificiels des membres que sont le pinceau, le couteau à palette, l’aérographe, désormais augmentés de toute ces prothèses que sont l’appareil photographique, le vidéo projecteur, l'ordinateur, la palette graphique, le tout consistant toujours, de toute façon, à redoubler, prolonger ou projeter une image de soi vers le monde, c’est-à-dire d’établir un pont entre l’organisme et sa réalité, à ré instaurer, toujours, l’image d’un adorable leurre.
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L'hyperréalisme retourne vers la peinture de chevalet. Il rétablit les procédés de la peinture conventionnelle tout en vidant celle-ci de son contenu.
Ce retour passionné à l’acte pictural s’est fait jour pendant une période d’abstinence picturale pendant laquelle les critères techniques et les critères d’appréciation se sont perdus.
L’histoire a cependant relégué le réalisme objectif dans une cabine de seconde classe.
Pour le grand art, on ne se contente pas d’une pure description. C’est seulement lorsque le sujet de la peinture a renoncé à la pure ressemblance et a opté pour une véritable signification, que l’histoire adopte son aspect artistique.
L’hyperréalisme, compte-rendu paisible et littéral des réalités visuelles occupe de ce fait encore une position embarrassante. Il existe cependant deux notions complémentaires, si on les place au-delà du dogme de modernité, qui plaident en faveur de l’art hyperréaliste : d’une part le réalisme est incontestablement lié au sujet et d’autre part comme le souligne Don Eddy, l’apparence du monde est vraiment plus excitante que l’apparence de l’art.
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Un art technologique
La profusion d’images véhiculées par la vidéo, le cinéma ou la photographie, les réseaux sociaux a changé notre manière de voir et les hyperréalistes enregistrent ces changements.
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Aujourd’hui les images diffusées par les médias visuels sont aussi importantes que les phénomènes réels. Elles modifient notre perception des phénomènes réels et contribuent à hiérarchiser leurs valeurs.
Toute la peinture hyperréaliste a ainsi affaire avec une réalité de seconde main, une réalité remaniée, remaniée d’abord par la photographie et ensuite par les outils technologiques puis la reproduction sur la toile. Le peintre hyperréaliste se sert des outils technologiques souvent tout à fait consciemment pour rompre avec les habitudes de la représentation picturale classique.
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Il est devenu habituel de trouver dans les ateliers d'artistes hyperréalistes ordinateurs, tablettes, video-projecteurs agrémentés des logiciels les plus performants.
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Et c'est bien cette adaptation continue aux nouveaux outils essentiellement numériques qui a permis au mouvement de se renouveler un peu comme la musique techno qui, comme l' hyperréalisme dans un étonnant parallèle, depuis 30 ans se diversifie constamment au travers de mutiples sous-tendances.
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Peinture et photographie
John Salt fait remarquer que les photographies « permettaient de se débarrasser plus facilement de l’influence des autres peintres ».
L’idée que la photographie contribue à libérer l’artiste des anciennes formes de réalisme a été reprise par Tom Blackwell : « l’objectif déforme en fonction des conventions classiques de la perspective ou des besoins de la représentation picturale ».
Les hyperréalistes se servent donc de la photographie pour établir une distance entre eux et le sujet. La photographie fait passer l’image d’un plan à trois dimensions à un plan à deux dimensions d’une manière qui exclut les choix de l’artiste, choix qui pourraient être fondés sur des préférences affectives ou psychologiques.
Néanmoins la photographie n’est pas considérée comme un simple outil par tous les artistes. Bien qu’ils l’utilisent pour se distancier du sujet et se libérer des conventions esthétiques du passé, la photographie constitue pour eux une nouvelle manière d’appréhender les sujets.
Les mêmes peintures ne pourraient pas être peintes sans photographies et la visualisation photographique fait partie de l’idée de la peinture.
« Je ne vois pas comment je pourrais faire l’un sans l’autre » dit Estes, décrivant le rapport étroit qui règne entre sa peinture et la photographie.
En réalité Estes, comme beaucoup d’autres artistes, prend une liberté considérable avec la photographie : il prend plusieurs clichés d’un même sujet pour obtenir le maximum d’informations et ces informations sont ensuite intégrées dans la peinture.
Il convient ainsi de distinguer entre les peintres qui utilisent la photographie pour représenter ce que voit l’objectif et ceux qui utilisent celle-ci pour représenter ce que voit l’œil.
« Il y a des gens qui pensent qu’à partir d’une photo, on ne peut faire qu’une peinture. Mais on peut faire autant de peintures d’après une photo que d’après la vie réelle » remarque Chuck Close.
L’hyperréalisme a facilité une fertilisation croisée entre la peinture et la photographie. Ce dialogue permanent entre les deux techniques joue un rôle important dans l’art contemporain.
On n’entend pas dire à propos des œuvres hyperréalistes « c’est tout à fait la réalité », mais « c’est tout à fait une photo ». Cet illusionnisme ne devient que rarement le trompe l’œil d’un objet réel. Il rappelle toujours que la photo se trouve toujours entre la réalité et l’art et que ce monde d’entre deux fait l’objet de l’œuvre.
Ce n’est pas la réalité qui importe mais la photographie, car c’est celle-ci qui constitue le sujet de l’œuvre.
L’artiste saisit et communique le message de l’objectif. Il affirme l’intégrité de son sujet tout en visant à la perfection.
Il y a un enfin dans ces rapports ambigus un véritable problème avec la reproduction photographique des tableaux hyperréalistes. En effet celle-ci tend à revenir vers la source d’origine, la photo. De fait la peinture comme telle s’avère inphotographiable.
La reproduction de n’importe quelle œuvre de Picasso, Matisse ou Rembrandt vous dit quelque chose de ce à quoi la peinture ressemble alors qu’une reproduction d’un tableau hyperréaliste ressemble à un fac-similé de sa source photographique.
Selon Malcom Morley : « C’est une manière d’affirmer l’autonomie de la peinture comme objet, parce que seule la peinture vous dit quelque chose d’elle - même ».
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Hyperréalisme et abstraction
Les peintres hyperréalistes ont été influencés par les expédients utilisés par les peintres abstraits : agrandissement ou distorsion de l’échelle, uniformité de la surface, gigantisme des œuvres, prééminence de l’image.
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Par exemple le fait de traiter un sujet en isolant certains fragments de leur contexte et en les reproduisant agrandis de façon mimétique leur confère une identité propre avec souvent une forte charge d’abstraction.
Ceci se vérifie tout particulièrement sur certains détails de tableaux de Chuck Close qui se révèlent à l’observation des toiles abstraites.
L’agrandissement d’une partie de pneu chez Don Eddy devient un simple croisement de lignes plus proche de Stella que de l’hyperréalisme.
La froideur attribuée à la sensibilité hyperréaliste correspond à une manière abstraite de voir les choses sans commentaire et sans engagement.
L’hyperréalisme est plein de références à la peinture abstraite ainsi qu’en témoignent les compositions de Cottingham, de Blackwell, de Bowen ou de Johnson en Europe.
Même l’apparente frontalité d’Estes ou de Goings est composée et traitée dans un sens abstrait. Les reflets sont souvent utilisés, chez Pelizzari, Lieder ou Ivanoff par exemple, comme éléments abstraits comme le sont les barrières et les lignes de stationnement dans l’œuvre d’Eddy.
De fait certains peintres hyperréalistes sont devenus abstraits et inversement.
La façon dont certains artistes préparent le sujet qu’ils vont reproduire est influencée non seulement par l’art abstrait mais aussi par le travail conceptuel.
Ainsi nombres d'artistes préparent-ils-il des installations à grande échelle au moyen de sujets divers qu’il reproduisent ensuite fidèlement. On retrouve cette phase exploratoire qui consiste à faire des travaux préparatoires à l’exécution de leurs toiles chez nombre d’artistes.
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Une critique absente ?
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L’hyperréalisme est l’un des rares récents courants innovateurs à bénéficier d’un large succès public.
Il a fait l’objet de nombreuses expositions dans de nombreux pays et quelques ouvrages lui ont même été consacrés (cf. books)
Cependant, en dépit d’un succès populaire certain, l’hyperréalisme s’est heurté à une relative indifférence des critiques et des institutions.
Quand les conceptualistes ont abandonné les outils et les supports traditionnels au profit des performances et des installations, d’autres artistes, en réaction, sont retournés dans les ateliers.
Pour la communauté critique, ceci a constitué un contre-choc révolutionnaire avec des implications beaucoup plus choquantes que celles provoquées par la plus iconoclaste des stratégies développées par les Conceptualistes.
D’où un certain malaise entre le mouvement hyperréaliste et la critique.
L’hyperréalisme est une forme d’art exigeante et les peintres passent le plus clair de leur temps à peindre dans leurs ateliers ce qui laisse peu de disponibilité pour alimenter en informations la réflexion des médias et des critiques.
De plus les peintres hyperréalistes ont laissé au placard un certain nombre d’attributs propres aux acteurs du grand Art tels que le culte de la personnalité, le mythe du génie individuel, la démarche élitiste, ésotérique ou transcendantale.
Ils déjouent le sens commun qui veut que l’art soit une activité séparée, marginale, surtout pas quelconque et que l’artiste soit engagé corps et âme dans une mystérieuse recherche de vérité et d’absolu et ainsi sapent l’autorité des médias et des systèmes de mise en spectacle de la réalité. La figure du créateur s’efface au profit de celle plus modeste du passeur.
L'hyperréalisme ne repose pas sur l'idée romantique de l'artiste dévoré de démons intérieurs, hors des systèmes, que ses pulsions suicidaires conduisent à des créations... avant la fin autodestructrice dans l'alcool ou la drogue.
Non on n'est pas dans ce roman que les marchands, les spéculateurs de tout poil aime tant qu' il permet de qualifier des productions sans intérêt d'oeuvres majeures.
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Ceci étant, ce phénomène s’inscrit plus largement dans la perte de statut de la peinture : la critique ou les commissaires des plus importantes manifestations internationales ont intégré dans leur discours une idée de la peinture comme activité passéiste au profit d’expressions telles que la vidéo, la performance ou paradoxalement la photographie qui leur semblent plus pertinentes.
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En dépit du relatif dédain affiché par la critique au jour le jour, les historiens d’art ont commencé à intégrer ce mouvement, populaire entre tous, dans leur réflexion.
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The American pioneers, the photorealists
La vogue du photoréalisme a pu faire croire à une renaissance de la figuration, alors qu’il ne s’agissait que d’un prolongement logique de la tradition réaliste américaine. Les Etats-unis ont connu jusqu’au Pop art, qui chronologiquement a précédé l’arrivée du photoréalisme, nombre de démarches figuratives telles celles d’Edward Hooper, Charles Sheeler ou Andrew Wyeth.
Le pop art avec ses antécédents néo-dadas a constitué à la fois la synthèse du courant réaliste et du courant abstrait et l’apothéose dithyrambique de l’american way of life. A vrai dire il constitue l’un des points culminants du réalisme américain et l’esprit des Wesselmann, Rosenquist et Oldenbourg est fondamentalement celui des Demuth ou des Nigel Spencer. Ce style 100% américain atteint son apogée au moment où le monde entier subit la fascination de l’Amérique, copie son genre de vie, et son folklore urbain, se passionne pour ses mythologies quotidiennes, du western à la chanson, adore ses idoles, imite ses voyous au grand cœur.
La nature américaine d’un Raushenberg ou d’un Warhol s’identifie aux archétypes du folklore moderne international, elle illustre l’entière hiérarchie des valeurs d’une civilisation planétaire.
En reportant l’attention sur l’environnement urbain, sur le pouvoir de fascination de l’image diffusée en série par les médias modernes, les pop artistes ont revalorisé la figuration qui alors semblait être le lot presque exclusif des peintres académiques.
D’autre part, à cette même époque, l’image de l’Amérique tendait inexorablement à l’effritement et après avoir imposé sa loi au monde, la peinture américaine est rentrée chez elle et au terme de cette introspection objective, s’est retrouvée, à travers l’hyperréalisme, telle qu’elle a toujours été, régionaliste, terrienne ou industrielle, inexorablement enracinée dans la réalité physique et humaine.
En réalité peu d’artistes hyperréalistes pensent avoir subi l’influence directe du Pop art et parmi les artistes pop, seul James Rosenquist fait figure de référence. Il est celui dont ils sentent l’œuvre comme étant la plus proche de leurs préoccupations. Plusieurs de ses tableaux, en effet, proposent une image simple, immédiatement reconnaissable et qui peut évoquer tel ou tel aspect de l’hyperréalisme, bien que le propos en soit tout autre. A la différence des tableaux hyperréalistes, la peinture de Rosenquist est toujours un commentaire – moral ou philosophique – du monde moderne, jamais un simple constat.
D’une manière plus générale, comme Estes l’a remarqué « l’ennui avec le Pop art est qu’il est trop bavard. C’est un jeu intellectuel. Une fois qu’on a compris le message, ça perd tout intérêt ».
Malgré cela les hyperréalistes reconnaissent leur dette à l’égard du pop art qui a ouvert la voie au traitement des sujets banals et qui a rendu possible une peinture figurative sans référence au passé, aux vieux maîtres et aux considérations académiques.
L’hyperréalisme a emprunté au pop art l’iconographie de la vie quotidienne. Il célèbre l’image banale et banalise l’image culturelle.
L’hyperréalisme américain est généralement considéré comme étant un style mécanistique et il n’est pas surprenant de constater que nombre de peintres sont fascinés par les automobiles ( Don Eddy, Robert Bechtle, John Salt, Ralph Goings, Ron Kleemann), les motos ( David Parrish, Tom Blackwell), les avions (Chriss Cross, Tom Blackwell), les usines ( Randy Dudley), les vues urbaines ( Richard Estes, Noël Mahaffey, Robert Gniewek, Davis Cone, Anthony Brunelli, Bertrand Meniel).
Tous ces thèmes relèvent du folklore urbain dans ses aspects les plus universellement reconnus. La société de consommation bat son plein, elle a revêtu ses habits du dimanche : les restaurants sont propres, les rues sont nettoyées, les néons brillent de tous leurs tubes, les motos sont clinquantes. Rien n’a été oublié par les produits détergents pas même les carrosseries dans un cimetière de voitures. Tout est révélé avec une grande netteté comme s’il s’agissait de la promotion publicitaire d’un produit bien emballé ou de cartes postales éditées par un office de tourisme.
C’est cet aspect de l’hyperréalisme, mécanique mais réducteur, qui a été reconnu par le grand public et diffusé dans les médias.
Dans cet art, l’écriture personnelle est le plus souvent absente, l’atmosphère réduite au minimum et le sujet ramené au quotidien, l’artiste confirmant sa personnalité par un thème caractéristique. C’est ce que Peter Sager appelle leur marque commerciale. Loin de faire l’unanimité cet aspect radical est raillé par toute une frange de la critique.
« Où est la neutralité de cette peinture et de ces peintres qui ignorent systématiquement toute une partie de leur environnement (pour ne parler que de lui) et que leur objectivité conduit à ne voir que des murs neufs et nus, de la terre ratissée, des vitres immanquablement propres, des moteurs toujours neufs ? » s’exclame Desmonde Vallée.
Cet hyperréalisme radical, loin de se répéter, s’est perfectionné pour atteindre un paroxysme technique dans les dernières œuvres de Charles Bell ou de Richard Estes pour ne citer qu’eux.
D’autres artistes, même s’ ils adhèrent à la beauté des carrosseries polies des automobiles, des vitrines ou à celles des postes à essence, traitent des sujets évoquant l’ ère coloniale, l’art déco des années 20 ou puisent leur inspiration dans les années 50 rehaussant par là même l’intensité émotionnelle de leurs sujets. C'est les cas de Baeder ou Jacot.
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Enfin, d’autres peintres ont su négocier des ruptures dans les thèmes, les sujets, en prenant une certaine distance avec ce coté hypertechnique et glacé.
Ce qui différencie ces artistes des autres photoréalistes c’est qu’ils ne se soucient pas de noter la banalité complexe des snack-bars, des semi-remorques, des rues de banlieues, des cinémas provinciaux, des rodéos et de toutes les tranches de vie de l’Amérique populaire qu’ils représentent. Ils ont investi d’autres champs d’investigation artistique.
Ainsi la représentation des visages de Chuck Close, des corps de John Kacere, des chevaux de Richard Mac Lean ou les scènes de la mythologie reproduites par John Clem Clarke appartiennent eux aussi de plein droit à la peinture hyperréaliste.
Il en est de même des paysages de Ben Schonzeit ou des intérieurs de Jack Mendenhall ou Douglas Bond.
Les œuvres de Don Eddy, d’Audrey Flack, de Ben Shonzeit, de Chuck Close ou de Joseph Raffael font état de la plus grande liberté thématique et témoignent que le langage hyperréaliste n’est pas un système clos et figé comme pourrait le laisser penser une lecture simpliste et partisane.
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Les hyperréalistes ou la synthèse
S'il faut leur reconnaître une sensibilité et une technique très proche de celles des artistes américains photoréalistes, c’est moins au niveau des sources qu’au niveau du saisissement que les artistes hyperréalistes marquent leur profonde spécificité.
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Il existe en fait autant d' hyperréalismes qu’il y a de peintres, chacun contribuant à travers sa vision personnelle, dans un style qui lui est propre à une définition du réel. Aussi semble t' il aventureux de rallier ces artistes sous une bannière commune et improbable d’un hyperréalisme uniforme.
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Certains se rapprochent de la tradition académique. Avec une parfaite maîtrise technique, en particulier dans le domaine du dessin, ils dressent l’inventaire de la vie quotidienne. Et pour la plupart maitrisent les outils technologiques ou numériques.
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On est chez eux généralement loin des thèmes traditionnels du photoréalisme américain. Ce qui n’est pas le cas chez Santander, Ford, Pelizzari, Neffson Vershafell, Penner ou Bricq plus proches du photoréalisme radical.
Tout dans leur travail peut être classé selon les catégories traditionnelles telles que les enseignent les écoles des Beaux-Arts : nature morte, nu, paysage, scènes de la vie quotidienne.
Cependant si leur vision reste tributaire de celle des maîtres anciens, elle traduit aussi, au niveau du sujet figuré, une inquiétude moderne.
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Les peintures souvent de très grand format, font ainsi surgir des formes abstraites ou des constructions imaginaires qui révèlent quelque chose de l’ordre caché de l’environnement quotidien.
Les peintres s’attachent ainsi à faire apparaître diverses formes tirées des profondeurs de l’image et l’on est frappé par l’impression que corrélativement, les objets, les scènes familières deviennent des "miniatures du monde"
Spectaculaires par leur éxécution, les corps, les personnages, les visages de Luxenburg, Ortiz, Price, Monks, Hoppe, Roda, de Lartigue restent définitivement contemporains. On pense aussi à Ozeri, Newton, Munoz, Hennessey, Dzimirsky.
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Certains utilisent l’imagerie contemporaine comme point de départ pour diverses formes d’une figuration plutôt narrative qui se différencie nettement d' un courant essentiellement statique. La technique, bien que parfaite, est moins académique et les sujets toujours d'actualité chez Pouchous, Bowen, Bernard, Waters, Bauer, Gravinese, Rodriguez. Mais ils ne sont jamais publicitaires, ni ne cèdent à l’anecdote.
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A la réussite brillante et close de la duplication d’un instantané, Hucleux, Cadden, Comoretti, opposent la mélancolie européenne d’un objet incommensurable à la conscience qui tente de se l’approprier.
Même s’ils obéissent aux mêmes impératifs techniques que les photoréalistes, une génération d’artistes a produit quantité d’œuvres qui bien que d’inspiration photographique présentent des prolongements philosophiques, politiques ou moraux. C'est le cas de Peterson ou Helnwein immergés dans le contexte social, politique et culturel.
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Selon Foster, de par l’angoisse que traduit son intérêt pour les surfaces brillantes et réfléchissantes, l’hyperréalisme exprime ce qu’il tente de dissimuler. un monde de réflection: on est chez Lieder, Ivanoff, Pelizarri.
Pour certains hyperréalistes, c’est moins l’aspect visuel de l’entourage quotidien et urbain qui retient leur attention que l’aspect tactile des éléments.
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Ainsi Tschang Yseul Kim qui reproduit des gouttes d’eau, Eberle qui s’intéresse aux quartiers de viande ou bien encore Bodin qui reproduit des herbes en mouvement.
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Le thème de la nature morte est revisité par de nombreux artistes. Chacun portant un nouveau regard, une touche personnelle en se débarrassant des contraintes sclérosantes du trompe l'oeil traditionnel; Chartier dans un registre ironique, De Graaf, Campos, Bodin, Kloosterboer, Molinari, Bernardi jouant sur les effets de matière ou de perspective, Béliveau plus littéraire avec ses ouvrages scrupuleusement reproduits, Wirths plus conceptuel.
Ou encore Lefevre, Prillieux, Banegas.
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Pratiquement absent de la peinture photoréaliste, le thème de la nature inspire les hyperréalistes: Spence et d'amirables paysages ou sous bois, Kessler avec d'étranges étendues d'eau, Bernair avec ses vagues.
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D'autres tendances se font jour que l'on peut qualifier d'hyperréalisme onirique au travers des travaux de Geddes, Rea, Kunkle, Ulibin ou Eley. Chez eux symbole imaginaire et réel sont assemblés dans des fresques alliant le mécanique à l’animal, le minéral à l’homme. Des personnages bien contemporains prennent place dans des décors intemporels.
L'usage du matériel numérique est poussé à ses extrémités par Corfield parfois qualifié de pseudo réalisme ou Mulhem qui est passé maître dans l'usage de l'holopeinture.